ZaRak 23 / Paris Style : french hardtekno

 

   
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dezakor

« Bruyante Techno » d’Emmanuel GRYNSZPAN (1999)

Le bruit jaillit de petites machines bidouillées dans un studio composite, emplit les hangars désaffectés et les clairières, puis les clubs à la mode, et finira par être vendu au rayon disque compact du supermarché, entre le poisson et les chaussettes. Le rock a introduit la salissure du son musical par l’amplification électrique ; puis le rap a habitué nos oreilles à entendre une bande son urbaine (sirènes de police, détonation d’armes à feu, bruits de moteurs) incluse dans la musique. La techno, elle, répand le bruit abstrait dans la musique populaire au point d’en chasser parfois totalement le son musical traditionnel. Trop d’enjeux reposent sur la hauteur pour qu’elle puisse disparaître des itinéraires prospectifs, mais elle doit désormais composer avec ce nouvel arrivant dans l’espace des musiques non savantes.

Les musiciens du hardcore ont découvert avec le bruit un nouveau domaine d’expression ; grâce aux instruments électroniques bon marché, un moyen de créer de manière autonome, avec un minimum de contraintes, et même, dans le cas des tribus, un mode de vie alternatif. La provocation ne dure qu’un temps puis est avalée par l’insatiable appétit récupérateur de l’industrie des loisirs, ou alors elle est étouffée par la répression qui s’amorce. L’Etat dit oui à une techno qui respecte les lois (en matière de sécurité, de drogue, d’économie de marché, et de droits d’auteur), mais réprime sévèrement ce sur quoi il n’a aucun contrôle. Une grande partie du mouvement techno a déjà intégré ces critères, mais le mouvement des free parties ne s’y résout pas, et glisse sur la pente de la marginalité.

Le bruit est un état transitoire, un espace interstitiel entre l’acceptable et l’inouï. Aucune musique ne garde intacte sa capacité à provoquer, et si le contexte paramusical de la techno change, ce qui ne manquera pas d’arriver, son bruissement cessera d’être subversif.

La techno est un bruit total, un bruit dans tous les sens du terme. Bruit pour ceux qui ne l’aiment pas, mais aussi pour les amateurs qui affirment leur goût pour ce paradoxe. Bruit parce que c’est trop fort ; parce que c’est trop aigu ou trop grave ; bruit parce qu’il n’a pas de notes ; bruit produit par des machines, à l’opposé d’une représentation platonicienne de la nature ; bruit parce qu’il perturbe l’ordre social et --- pour un temps --- les logiques commerciales.

D’une certaine manière, le bruit est une manière de réenchanter le musical. La techno est le penchant populaire de la musique concrète, non pas seulement en terme d’usage de nouveaux instruments, mais dans la volonté de laisser travailler le bruit, de laisser surgir un son inouï, mystérieux et sur lequel le contrôle du créateur n’est pas total. L’élaboration de la musique ne se fait plus en terme de compétence, de maîtrise absolue. Les timbres des instruments acoustiques sont suffisamment connus pour ne plus émerveiller. Dans la techno, le bruit est gratuit, et laissé à l’état brut, non pas par métonymique, mais se suffisant à lui-même. Le bruit traverse le musicien et frappe directement l’auditeur par son étrangeté. Le jazz et le rock sont constitués de sons maîtrisés par leurs auteurs, et ce contrôle total démythifie le son.

D’où parfois ce fétichisme d’un bruit tout-puissant qui se manifeste par une intensité sonore au caractère totalitaire. Sans ramener le débat au plan politique, ce bruit excès témoigne d’une limite sur laquelle se place inconsciemment la techno, et en particulier le mouvement hardcore. Le bruit fascine et est adoré, entre autre, parce qu’il est danger, transgression, parce qu’il fait (le) mal. Le mouvement techno cherche continuellement à se disculper de l’accusation qui lui est faite par les mass médias et les pouvoirs publics d’inciter à la consommation de drogue. Si la drogue n’est pas le corollaire de la techno, cette dernière a en revanche un comportement autodestructeur indiscutable dans son usage du bruit.

Le hardcore ne cherche visiblement pas à être politiquement correct, mais au contraire, par le mode de vie qu’il inspire, affirme un désir de s’affranchir de règles telles que le travail, la consommation de drogue ou le nomadisme. Les tribus voyagent constamment, leurs membres sont autonomes alors qu’ils n’exercent pas un travail comptabilisable puisqu’il s’inscrit dans une économie parallèle proche de l’autogestion. A aucun niveau les pouvoirs publics n’ont de prise sur le phénomène. Cette indépendance peut bien être rejetée, elle pose par son existence des questions à la société telles que le contrôle du destin individuel et le droit au plaisir par l’abus de drogue et de décibels.

La free party est un moment du bruit, une étape dont la mutation suivra corrolairement les dispositions des autorités politiques à son égard. La free party existe telle quelle dans un rapport de force donné. Si la situation n’évolue pas, ou si les pouvoirs publics adoptent une position plus tolérante, le son des free parties sera tôt ou tard avalé par l’industrie du disque, isolant encore un peu plus les partisans du bruit sans compromis. Mais si la répression s’accentue, le son se radicalisera encore davantage, portant le bruit vers de nouveaux horizons.

« Make some fucking noise ! »
Mark Harrison, Spiral Tribe


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